Les agents des Ressources Humaines n’échappent pas au fantasme de chanter à leur hiérarchie « au r’voir au r’voir Président » comme dans la mythique pub de la Française des Jeux. Guettés comme tout un chacun par la lassitude, le ras-le-bol, le burn out, gagnés par la tentation de la fugue déconfinatoire, beaucoup décident aujourd’hui de voler de leurs propres ailes en devenant consultant indépendant. En 2023, attention AirH !
Le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa dispose dans son essai Accélération que la modernité s’est emballée. Le temps où l’on pensait que le progrès technique n’était synonyme que de gain de temps n’est pas si loin, tandis que l’expérience quotidienne ne montre qu’individus courant après, toujours en retard-en retard, comme le lapin blanc de Lewis Carroll, effrénés à faire mal plusieurs choses à la fois et se roulant par terre de colère quand la technologie faillit à leur rendre leur dû magique d’enfants gâtés 2.0, celui de l’instantanéité...
Il y a un bug Bunny, et il semblerait que le rythme des innovations essore… Il s’agit d’être flexible, d’avoir un roseau pour colonne vertébrale comme écrivait Victor Hugo, mais la frénésie use, l’hyperactivité épuise, et le stress est une petite bête qui monte qui monte, jusqu’à faire éventuellement retomber le soufflé en dépression… Le progrès technique nous plonge dans le réchauffement climatique (on vous rappelle que c’est la fin du monde) mais la foi en lui persiste et signe : c’est lui qui nous sauvera de l’eschatologie terminale. Les identités ne sont plus fixes, elles sont hétéroclites, c’est-à-dire, sans artifice euphémistique, ventilées façon puzzle ! Les repères se dérobent, les cadres explosent, tout est à l’obsolescence programmée ou pas forcément prévue. Dans ce contexte, chaque engagement, y compris professionnel, finit par prendre la forme d’un projet sans projection. Les professionnels des RH n’échappent pas aux effets délétères de cette accélération générale, en particulier dans le monde d’après confinement. Le désir de tout lâcher pour devenir indépendant règne.
Les AirH sont là !
Les responsabilités des RH sont en constante évolution : recrutement, gestion des conflits, formation continue, respect des régulations légales, tâches administratives, satisfaction des employés dans un contexte de revendications identitaires et individualistes inflationniste, il s’agit de suivre le rythme. Et encore une fois, il est effréné. La charge de travail fait comme boule de neige et l’employé se sent Sisyphe, en même temps qu'il ressent le temps lui couler entre les doigts comme ces pauvres filles de Danaé, affairées à remplir un tonneau criblé de fuites... Le travail peut vite virer au supplice, mener à l’épuisement professionnel, au découragement. Le désir d’échapper à la pression devient la norme. De s’échapper.
Les RH rêvent de métamorphose, d’AirH en 2023, d’emprunter la voie de l’indépendance et de la flexibilité : choisir ses horaires, ses clients, ses projets, sa méthode de travail. Bye bye la hiérarchie et les corsets bureaucratiques, chacun veut se réinventer et peut-être même dans un cadre éthique à échelle humaine. Devenir nomade, être mobile, un ronin, est la tendance, quitte à payer comptant le prix de cette liberté (l’inconfort de l’incertitude des revenus, l’absence de certains avantages sociaux) et faire fondre la cire de ses ailes de fortune.
Pour les entreprises, attention à l’érosion
La fuite de leurs cerveaux RH doit être prise au sérieux par les entreprises. Elles doivent impérativement prendre la mesure du désir d’autonomie et de la quête de satisfaction professionnelle de leurs samouraïs des Ressources humaines pour les soutenir et les retenir. Car cette migration en cours vers le consulting constitue en soi une menace pour l’identité des entreprises : les RH restent les gardiens du temple, les garants de l’adéquation entre les valeurs d’un candidat et celles de l’entreprise. Inclure des initiatives de bien-être au travail, mettre en œuvre des méthodes de travail plus souples et intégrer des opportunités d’évolution réelles et multiples peuvent constituer les soupapes de sécurité qui pourront permettre de combler à la fois un besoin de reconnaissance et des aspirations à une meilleure qualité de vie. Il s’agit aujourd’hui de faire baisser le stress, de créer la sensation de la décélération pour laisser le champ libre à la joie. « La joie annonce toujours que la vie a réussi » écrivait Henri Bergson. Mettez de la joie dans les RH !
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